Ecrite dans les années 40 par M. Arif, elle évoque la vie difficile des indonésiens sous l’occupation japonaise. A l’époque on peine à se nourrir et pour agrémenter le riz blanc les javanais cueillent le “genger” une sorte de mauvaise herbe poussant parmi les rizières, dont le nom scientifique est “Limnocharis flava”.
Les paroles sont en javanais, voici une traduction :
Genjer-genjer nong kedokan pating keleler
Genjer-genjer nong kedokan pating keleler
Les genjers sont répandus dans les carrés de rizière
Emak’e thole teko-teko mbubuti genjer
Emak’e thole teko-teko mbubuti genjer
Une mère vient arracher les genjers
Ulih sak tenong mungkur sedhot sing tolah-toleh
Après avoir rempli une corbeille elle part sans regarder derrière elle
Genjer-genjer saiki wis digowo mulih
Les genjers sont ramenés à la maison
Genjer-genjer esuk-esuk didol ning pasar
Genjer-genjer esuk-esuk didol ning pasar
Les genjers sont vendus au marché tôt le matin
Dijejer-jejer diuntingi podho didhasar
Dijejer-jejer diuntingi podho didhasar
Tous alignés, rassemblés en paquet, présentés sur l’étal
Emak’e jebeng podho tuku nggowo welasah
Des mères les achètent et les mettent dans leur panier
Genjer-genjer saiki wis arep diolah
Les genjers vont être cuisinés
Genjer-genjer mlebu kendhil wedang gemulak
Genjer-genjer mlebu kendhil wedang gemulak
Les genjers sont plongés dans la marmite d’eau bouillante
Setengah mateng dientas yo dienggo iwak
Setengah mateng dientas yo dienggo iwak
Cuits à point, égouttés, servis en accompagnement
Sego sak piring sambel jeruk ring pelonco
Une assiette de riz, de la sauce pimentée au citron, sur le divan
Genjer-genjer dipangan musuhe sego
On mange le genjer avec du riz
Ces paroles d’une inoffensive simplicité sont pourtant celles d’une chanson qui va marquer l’histoire moderne de l’Indonésie.
Pendant l’euphorie de l’indépendance “Genjer-genjer” est reprise par deux chanteurs populaires, Lilis Suryani et Bing Slamet.
Le PKI ensuite, parti communiste indonésien en plein essor jusqu’en 1965, en fait une sorte d’hymne, cette chanson évoquant la dure condition des travailleurs qu’il entend défendre.
Pour résumer grossièrement les événements troubles de 1965, qui virent le pouvoir passer des mains de Sukarno, le président de l’indépendance, à celles du général Suharto, on doit évoquer le massacre d’une partie de l’état major de l’armée de terre, qui fut attribué aux communistes, à la suite de quoi Sukarno fut mis à l’écart et Suharto pris la direction du pays, jusqu’en 1998.
Il était donc important pour Suharto de bien faire comprendre à son peuple que les communistes étaient d’affreux conspirateurs assoiffés de sang, il fit donc tourner un film de propagande largement diffusé, notamment en séance scolaire obligatoire, et ce, dès l’école primaire.
Voici un extrait de ce film qui met en scène le massacre sanguinolent et tragique des héros de la nation par des impitoyables communistes, qui scandent “genjer,genjer” comme un cri de guerre.
Les premières années de l’ordre nouveau instauré par Suharto furent marquées par une redoutable chasse aux sorcières envers toute personne ayant de près ou de loin eu des sympathies communistes, on dit que près d’un million de personnes furent massacrées, beaucoup d’autres jetées en prison.
La chanson “genjer-genjer” fut désormais interdite.
Le documentaire de Joshua Oppenheimer “the Act of killing” ramène durement aux consciences la réalité de ce génocide et ses liens avec l’Indonésie actuelle qui peine parfois à en reconnaître la réalité et l’injuste cruauté. Ces derniers mois encore, des rassemblements à la mémoire des victimes ont été violemment attaqués par des groupes sans doute nostalgiques du bon vieux temps où l’on avait trouvé une bonne raison de faire couler le sang.
Aujourd’hui on peut chanter “Genjer-genjer” en liberté mais en traversant les décennies la mélancolie de cette douce mélodie s’est amplifiée.