Jepara est connue pour l’artisanat du bois, je n’en ai pas encore parlé ici, mais ça ne saurait tarder, quand j’aurai mieux fait connaissance avec tous les aspects de cette petite industrie qui s’étend partout et concerne tout le monde ici.
La fabrication de tissu, si elle est répandue dans toute l’Indonésie, est moins connue comme une spécialité de Jepara. Pourtant non loin du centre ville, dans la commune de Troso, plusieurs ateliers fabriquent à l’ancienne des tissus de grande qualité qui sont toujours l’objet d’un vif intérêt pour les indonésiens.
Tandis qu’en France le textile en général et les vêtements en particulier sont le plus souvent des objets de consommation massive fabriqués en usine (indonésienne aussi souvent…), où la compétitivité du prix ou le prestige de la marque font loi, en Indonésie continue de se développer un artisanat qui reconnaît toute la valeur du travail fait main (dans le tissage comme dans l’impression des motifs), et beaucoup d’indonésiens, s’ils en ont les moyens, sont prêts à payer le prix fort pour accéder à l’incomparable qualité de ce type de tissu.
Les boutiques de couturiers sont nombreuses, elles reçoivent beaucoup de commandes de particuliers, et le magasin de tissus que nous avons visité était animé, bien que situé à l’écart du flux de circulation principal.
En face de cette boutique propre et bien rangée à l’atmosphère feutrée, l’atelier: un hangar immense cerné par une flottille de scooters entre lesquels on se faufile pour accéder à la ruche claquetante. Des dizaines de métiers à tisser en bois sont posés sur la terre battue entre les murs de briques poussiéreuses, sous une voûte de tôle ondulée où l’enchevêtrement des toiles d’araignées s’étale comme un hommage à l’inspiration du génial inventeur de la première trame qui servit à nous vêtir.
Devant chaque métier, un homme ou une femme répète des milliers de fois le même geste, les mains courant d’un levier à l’autre, il marque parfois une pause pour réajuster l’entrelacs des fils resserrés sous l’action conjuguée du mécanisme antique et des impulsions de son corps, insufflant un supplément d’âme à la confection de l’étoffe.
Le rythme saccadé de chaque métier participe à la cacophonie ambiante, et contraste avec l’impassibilité des visages de ceux qui accomplissent patiemment cette tache. Ils seront payé au mètre et si mes rapides calculs sont justes, la main d’oeuvre constitue près de la moitié du prix du tissu.
Assises par terre des femmes préparent des bobines de fil, déroulées sur des roues de vélo, plus loin un homme pétrit de ses pieds une étoffe dans un bassin.
Constatant la difficulté de ce travail on conçoit facilement le progrès que la machine représente mais on se demande aussi ce que feraient d’autre tous ces ouvriers pour gagner leur pain. Dilemme récurent de la modernité…
C’est toute la patience et l’humilité de ces travailleurs, infiniment respectables, qui fait perdurer ce métier traditionnel, et ce sont aussi sans doute ces valeurs fondamentales que le peuple indonésien honore en accordant toujours autant de prix aux si beaux tissus de Troso.